Des pieds et des mains
Récemment, dans ma précipitation, je me suis brûlé sur la cuisinière. Aïe! Ce malencontreux événement m’a fait réaliser la fragilité de mes mains : elles supportent mal le chaud et le froid, elles s’égratignent facilement, elles peuvent même perdre un doigt ou deux par inadvertance. Alors, pour les protéger, j’ai enfilé des mitaines de four. Quelle révélation!
Je me sentais soudain invincible dans la cuisine. Nul besoin d’évaluer s’il est risqué de sortir une plaque de cuisson ou de manipuler un couteau par la lame. Non! Les mitaines me protègent. Fort de cette confiance renouvelée, j’ai décidé de les porter en tout temps. Je les enlevais pour dormir et me doucher, bien entendu, mais autrement, hop! Dans les moufles.
J’ai développé toutes sortes de techniques pour pallier la réduction de ma dextérité : je soulevais plus que j’agrippais, je prenais maintenant les objets à deux mains… Comme mes mitaines à four en tissu s’avéraient glissantes, je m’en suis procuré de nouvelles en silicone doublé, qui offrent une bien meilleure traction. Plus chères, mais vous devriez voir le relief!
Après quelque temps, la peau de mes mains est redevenue lisse et fine, une vraie merveille de délicatesse. Bon, elle était maintenant blême et souvent humide, mais au moins, finies les égratignures et la corne sur les coussinets!
J’admets que la perte de contact direct avec mon environnement me déstabilisait. Comme je ne percevais plus très bien la pression ou les textures, je devais me fier davantage à ma vision pour interpréter mes mouvements. Lorsque j’étais contraint de fonctionner à mains nues, pour une raison inexplicable, je me sentais vulnérable, trop sensible… Le moins longtemps possible, donc!
J’ai dû me résigner à retirer mes mitaines pour écrire cet article, malgré les risques de contamination bactérienne au contact du clavier de dactylo. Étonnamment, mes doigts me paraissaient gourds, maladroits. Qui aurait cru? Un ami m’a alors offert des gants qui me permettaient de les utiliser de manière indépendante. Quelle innovation!
Mon histoire devrait vous laisser quelque peu perplexe, voire incrédule. Qui préférerait sceller en quasi permanence une partie du corps aussi raffinée, composée de 27 os, 29 articulations, des centaines de ligaments et près de 17 000 terminaisons nerveuses dans une mitaine de four? Sa protection à tout prix compense-t-elle la perte de ses fonctionnalités?
Mais attendez un instant… Quel autre organe humain comprend presque autant d’os et de ligaments, encore plus d’articulations et le même nombre de doigts? N’enfermons-nous pas nos PIEDS dans leurs propres mitaines pour leur sécurité au détriment de leurs capacités naturelles? Au moins, mes mitaines de four ne bloquent pas mes poignets, elles…
Ne vous méprenez pas : j’en ai, des mitaines de four à la maison! Je les utilise lorsque la situation l’exige. J’en porte, des chaussures, des bottes, selon le contexte. Mais de grâce, autant que possible, laissez vos pieds en liberté! Ils deviendront robustes, flexibles, tactiles, préhensiles… si vous leur retirez leurs mitaines!